À 18 ans, Armand Lupien est actuellement en train de traverser le Canada d’est en ouest…à vélo. J’ai eu le privilège de m’entretenir avec lui en cours de route pour discuter de son expérience et des motivations derrière ce périple des plus ambitieux qu’il fait pour une très noble cause. Celui qui vient de graduer du cégep a choisi de prendre son dernier été avant la rentrée universitaire en génie physique pour mettre à exécution ce projet périlleux auquel il songeait depuis quelques années déjà.
L’émergence d’un projet
C’est en 2022 plus exactement qu’est née l’idée de parcourir seul le pays. L’expérience d’Armand au sein d’un camp d’entreprenariat pour adolescents lui avait permis de nouer des liens forts avec de jeunes canadiens à qui il souhaitait pouvoir rendre visite au cours de son voyage. Armand nourrit également un vif intérêt pour le vélo depuis son jeune âge et a passé une partie de son enfance à se rendre à ses cours en pédalant. Envisager un voyage de vélo transcanadien était donc pour lui un défi des plus attrayants. « C’est stimulant physiquement et mentalement de se donner un défi énorme et de voir à quel point tu peux te pousser pour l’accomplir », explique-t-il.
Ainsi, depuis deux ans, Armand planifie le voyage d’une vie : achat de l’équipement, préparation du trajet, planification budgétaire… Au cégep, Armand combinait par moment trois ou quatre emplois et travaillait jusqu’à trente heures par semaine pendant sa session pour faire de son rêve une réalité.
Pédaler pour la fibromyalgie
Si Armand savait depuis un moment déjà qu’il allait se lancer ce défi athlétique, il savait aussi, dès la naissance de cette idée, qu’il y rattacherait une cause caritative. Le choix de la collecte de fonds, cependant, est récemment devenu très clair, à la suite du diagnostic de sa sœur aînée, atteinte de fibromyalgie. Dans les circonstances, cette traversée du Canada devenait encore plus significative. S’ajoutait à la volonté d’Armand de se surpasser dans cette épreuve la motivation supplémentaire d’amasser des dons pour cette maladie encore trop peu connue, mais qui pourtant affecte environ 3%[1]de la population canadienne. « La fibromyalgie, ça implique de la fatigue chronique, de la douleur généralisée… C’est une condition très débilitante. C’est comme si tu vis tout le temps en détresse », explique celui qui est témoin depuis plusieurs mois des souffrances de sa sœur et des limites des traitements. « Il n’y a pas de remède connu, il n’y a que des moyens de rendre les symptômes moins sévères, mais sans guérir ».
La sœur d’Armand n’est toutefois pas la seule personne qu’il connaît qui est touchée par cette condition. Par un hasard des plus incroyables, Armand a croisé au cours des dernières semaine le chemin d’un autre jeune canadien amateur de cyclisme, Andrew, qui suit un itinéraire similaire au sien et dont la copine est atteinte de cette même maladie. Non seulement à deux, la route devient plus agréable, mais la cause poursuivie est d’autant plus pertinente.
L’argent amassé ira directement au National ME/FM Action Network, qui investit dans des traitements pour alléger les symptômes ainsi que dans la recherche d’un remède plus définitif. Le jeune cycliste ne perçoit pas les fonds ; ils vont tous directement à cet organisme de support. « La recherche, c’est le plus important », précise Armand. Toutefois, faire fructifier cette campagne de levée de fonds tout en pédalant à temps plein est loin d’être une tâche facile.
Le défi d’une vie
Depuis le 28 mai, Armand pédale une moyenne de plus de 100 km par jour. Au moment de notre rencontre, il y a quelques semaines, sa moyenne avait grimpé à plus de 150 km parcourus quotidiennement. Parmi les 8000 kilomètres qui relient les côtes est et ouest du Canada, les obstacles sont nombreux : vent, pluie, froid, chaleur. À tous ces facteurs se rajoute une contrainte supplémentaire : la solitude.
« Il a fait très froid à Terre-Neuve et il pleuvait. J’étais pas habitué, j’étais pas assez fort pour être consistant. J’étais seul, il n’y avait pas de soleil, c’était un peu décourageant».
Une fois la route de St-John (Terre-Neuve) jusqu’à Fredericton (Nouveau Brunswick) complétée, les rencontres avec d’autres cyclistes se sont faites plus fréquentes. Le temps s’est aussi éclairci : « Quand je suis arrivé sur l’île du Cap Breton, j’ai pleuré quand j’ai vu à quel point c’était beau », raconte-t-il, ajoutant que le premier segment de son voyage était « la chose la plus difficile qu’[il ait] faite de toute sa vie ».
Trouver un lieu pour dormir peut aussi s’avérer compliqué. Bien qu’équipé d’une tente qui deviendrait pour les prochains mois sa maison, Armand a parfois été contraint, dans l’urgence, de dénicher des solutions alternatives.
« J’ai déjà dû cogner chez des gens parce que j’étais mal pris. Les gens sont heureux d’entendre mon histoire et d’être capables d’offrir de l’aide. Lorsque je demandais des directives quand j’étais perdu, les gens offraient une fois sur deux de m’héberger ».
Armand affirme que les personnes ainsi croisées sur sa route, souvent dans de petits villages reclus où le tourisme se faisait rarissime, étaient souvent curieux et intéressés par son projet. Leur volonté d’appuyer Armand venait naturellement.
Si les conditions météorologiques et la solitude constituent certainement des défis, l’aspect physique du trajet n’est également pas négligeable. Armand admet avoir quelque peu surestimé ses capacités. « Physiquement ça a pris du temps m’adapter à ce style de voyage. Je n’étais pas assez en forme et ça a frappé fort. J’ai eu des problèmes avec mon tendon d’Achille. ». De passage à Montréal, Armand a pris quelques jours de repos bien mérités auprès de sa famille. Complètement épuisé physiquement, il ignorait s’il allait poursuivre la route jusqu’en Colombie Britannique. Rapidement, le devoir l’appelait : « Je me suis dit « j’ai commencé ça, mes blessures sont en train de guérir, il faudrait que je termine maintenant » », raconte-t-il. Abandonner n’était pas une option.
Vaincre la solitude
Lors des moments plus ardus, Armand a toujours trouvé un réconfort dans ses appels téléphoniques avec famille et amis et est parvenu garder le cap. Toutefois, une fois rendu en Ontario, la rencontre d’Andrew, 17 ans, a certainement bonifié son expérience. « C’est difficile psychologiquement d’être seul. Lui aussi se cherchait un partenaire de vélo. On s’est dit que puisqu’on allait au même rythme, on ferait le reste de la route ensemble. » Au moment de notre échange, Armand avait déjà initié le dernier tiers de son trajet, segment de la route qu’il amorçait avec plus d’enthousiasme, sans toutefois perdre de vue les nombreux défis qui l’attendaient. Maintenant que son corps est plus fort que jamais, il prévoit pédaler à un rythme record et diminuer les pauses, motivé par la réunion avec une partie de sa famille, qui l’attend à destination, à Victoria au début du mois d’août.
L’adversité comme compagnon de route
Avec le recul, Armand confirme qu’il n’était pas suffisamment préparé pour cette aventure, mais soutient que personne ne peut vraiment l’être. « On n’est jamais assez préparé pour ça, il faut s’adapter sur la route. Même lorsque c’est difficile, il faut se lever et continuer ». Cet apprentissage dans la douleur et l’adversité a été révélateur pour Armand. « Une des meilleures leçons, c’est qu’il n’y a pas de secret. Tu es responsable de ta propre souffrance et tu dois t’en affranchir même si c’est difficile. Chaque journée est un cadeau et une opportunité d’apprendre davantage et d’explorer le monde ». Seul pendant de longues périodes, Armand a aussi su adopter une nouvelle philosophie sur la vie, car dans ce genre de périple, on apprend à apprécier plus que jamais chaque journée et le monde qui nous entoure. « Sinon c’est absurde, sinon il ne te reste plus rien. Malgré la chaleur qui plombe, la peau qui pèle, la pluie qui tombe, c’est pas grave, d’être là est un cadeau en soi ». Cette réflexion sur la vie ne l’avait jamais frappé de la sorte avant de faire face à un tel inconfort au quotidien.
« Je suis en train de souffrir pour que les autres plus tard n’aient pas à le faire. J’aide de la manière que je peux » explique-t-il, en rappelant qu’en parallèle, il collecte des fonds pour ceux qui souffrent au quotidien de la fibromyalgie, mais continuent d’aller vers l’avant.
Armand est extrêmement fier de pouvoir accomplir ainsi quelque chose de plus grand que lui : « Le monde est très grand, il y a tellement de causes, c’est facile de se soustraire de tout ça et de croire qu’on est insignifiant. On a un pouvoir plus grand que ce que l’on pense pour influencer le monde et les gens autour de nous. Il n’y a pas de héros, c’est juste toi contre le monde. Il faut que tu te lèves et que tu t’y ailles ».
Pour encourager la collecte de fonds d’Armand, cliquez juste ici.
[1] Selon Statistiques Canada